Prendre la Régordane en 1740.

Récits de René Séguier.

René Séguier est le frère du savant nîmois Jean-François Séguier. Prieur de Saint-Jean-de-Valériscle (au bord de l’Auzonnet, qui prend sa source près de Portes), de 1733 à 1767, il écrit beaucoup : "Les Mœurs des Sévennes", en 1749 ; une grammaire et un dictionnaire de "la langue du pays" dans laquelle il fait aussi d’élégantes traductions d’Anacréon.

Il voyage peu, mais entreprend un voyage en Lozère du 10 au 20 septembre 1740 dont il fait la relation épistolaire à sa tante et à sa cousine de Saint-Ambroix.

 

À Portes, il prend la Régordane, qu’il ne nomme jamais ainsi.

Après Villefort, il faut monter la difficile côte de Bayard :

"C’est la côte du diable, elle est si raide et si escarpée que je demeurais une heure à la monter. Elle était praticable autrefois, mais aujourd’hui c’est un  chemin perdu par lequel on passe cependant parce qu’il n’y en a pas d’autres."

Quelques années plus tard, une nouvelle route permettra de l’éviter. Aujourd’hui Bayard et sa côte sont sous les eaux du lac de Villefort.

 

René Séguier est un homme de culture, un esprit ouvert et curieux. Il préfère les auberges et les cités industrieuses, comme Langogne, aux "précipices affreux" et aux bois sauvages.

Alors qu’il traverse un sombre bois de fayards qu’il pense "habité par les loups, les sangliers et quelques misérables pâtres" :

"Nous en rencontrâmes deux qui nous demandèrent la bourse en s’avançant vers nous. Mon guide se tourna vers moi en riant et me dit que l’un était son beau-frère et l’autre son cousin et qu’il n’y avait rien à craindre. Ce n’était qu’une brutale galanterie de ces rustres qui ne la faisaient que pour nous faire peur. Ils nous accompagnèrent jusqu’au sortir du bois, je me serais bien passé de leur compagnie"....

… mais le jeune Allier, près de La Bastide, l’enchante :

"cette rivière n’a sur ses bords ni verts, ni viges, ni saules, ni peupliers, ni aucun de ces arbres qui croissent sur les bords des rivières, pas même un jonc, pas un roseau. On la voit toujours telle qu’elle est, toute claire, toute charmante, toute nue, pas le moindre ombrage qui vous la cache : les seules prairies et les fleurs des prairies ornent ces bords ; je ne pouvais me rassasier de voir cette belle rivière".

À Saint-Gilles…

 

Plus tard, il prendra la Régordane en direction du sud pour aller voir son frère, Joseph, chanoine à l’abbaye de Saint-Gilles.

Pays fertile de prairies et de vignes. Il fait parler Bacchus lui-même, et en occitan, pour décrire l’activité du port de Saint-Gilles avec les centaines de fûts de vin qui attendent d’être embarqués :

> Source :  François Pugnière et Claire Torreilles, Écrire en   Cévennes au XVIIIe siècle, Les œuvres de l’abbé Séguier, Montpellier, PULM, 2013. 252 p

 

 


Extrait de son excursion à Bellecoste, aux sources du Tarn, sur le mont Lozère.

"Les habitants sont l’hiver enterrés sous la neige, ils restent dans des étables à bœufs. La chaleur des animaux et celle du fumier les échauffe et leur [sert de] chaleur naturelle. Il se fait beaucoup d’enfants dans ces étables. Quand la neige est bien gelée et qu’elle peut porter, ils font un trou dans la neige et sortent de leurs maisons. Il n’y a dans ce pays que du foin, du lait et du seigle. Il y a une grande foire à Bellecoste ou tout l’Auzère descend. On y vend quantité de chevreaux et de gros bétail.

Il y a aussi un cabaret à Bellecoste. J’y trouvai du pain de seigle et du mauvais vin mais j’en avais apporté du bon de Villefort et du bon pain. Nous y mangeâmes de ce bon beurre de Lozère. Je fis dîner toutes ces bonnes gens avec moi. Nous dinâmes à l’entrée de la maison sous un ormeau, une pierre nous servit de table. Je voulus donner du pain blanc à des enfants qui nous voyaient dîner et qui n’en avaient jamais peut être mangé, mais ils le refusèrent et s’enfuirent".


La grande route de Régordane

 

"Tous les villages de cette route

n’ont rien de particulier

que les vastes écuries que l’on y trouve.

C’est la grande route de l’Auvergne,

du Velay, du Gévaudan, du Forez,

du Languedoc, ainsi ces grandes

écuries sont nécessaires

pour loger cette foule de mulets qui y passent

continuellement.

De Raschas, je montai à la Moulette,

de la Moulette au Tuor (Thort),

du Tuor, je descends à la Bastide, car toujours dans ce pays on monte et on descend,

la Bastide est la dînée de

Villefort à Langogne.

De la Bastide, je fus à Rouliatou (Rogleton),

Prahlat (Pranlac) et Luc,

ce sont des villages ;

de Luc j’arrivai à Langogne".

(René Séguier)



"Vege ty aquel beu grés. Est aqui que creit lou muscat, la clarette, lou pyram, lou marouquin, est aquel grés qu’abbeure tout Paris. Se vesies quand arrivont lous marchands parisiens, quante joye ! Que l’argent rage per St Gilles, coumme lou bras !"

 

 

"Regarde donc ce beau terroir. C’est là que poussent le muscat, la clairette, le pyrame, le marocain, c’est ce terroir qui abreuve tout Paris. Si tu voyais l’arrivée des marchands parisiens, quelle joie ! Que l’argent coule à flot à Saint-Gilles, gros comme le bras ! "


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L'abbé Séguier, La Régordane en 1740
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> Le château de Portes